Notre Place

Lutter c’est d’abord une question de lieu, de place. Oui, nous activistes antispécistes, posons-nous cette question : D’où parle-t-on ? Dans quels lieux on se bat ? Chercher à y répondre, c’est comprendre que chaque lutte existe depuis un endroit singulier. Que définir nos cibles est un acte fondamental. Qu’il faut s’ancrer pour déployer DEPUIS cette place un diagnostic et un combat effectif.

Et quand tout a commencé pour 269LA en 2016, une question nous obsédait :

« Où est le front de cette guerre qui ne dit pas son nom ? »

Nous l’avons trouvé dans l’abattoir. Le couloir de la mort, ce passage violent de la vie à la mort, est devenu notre front. C’est dans ce corridor de béton que les animaux sont forcés de parcourir vers le poste d’abattage, que nous avons placé nos corps et notre lutte. Il ne s’agit pas de mener une expérience sensorielle pour se retrouver à la place des animaux exploités, mais de trouver la nôtre en tant que complices. 269LA défend un antispécisme qui s’inscrit dans la réalité, qui s’y cogne. Un antispécisme du côté des animaux, là où ils sont. Nous voulions nous battre depuis leur côté. Jamais en surplomb, toujours au sol, à ramper sous des grillages ou à mettre une chaîne autour de la taille, assis sur le béton.

Au milieu de deux mondes qui ne se parlent pas et s’affrontent, c’est « chez nous ».

L’abattoir produit des hommes contre des animaux. Une guerre perpétuelle qui ne doit jamais s’arrêter. Et le face à face, qui a lieu entre le bourreau et l’animal dans ce couloir, incarne toute la violence inhérente à ce système.

Cette fabrique des uns contre les autres c’est précisément ce qu’il faut cibler. Nous avons l’intime conviction que la question animale se pose là. Que l’abattoir est « le lieu » depuis lequel nous devons construire le mouvement. Ce fut un acte de rupture que de se positionner entre les couteaux et les animaux.

Si beaucoup réduisent l’action directe à un petit folklore, à une marge informelle et un ghetto de pratiques illégalistes ; nous croyons qu’elle recèle des potentialités extraordinaires. Car elle fait avancer la cause animale dans le sens historique de l’affrontement. Une stratégie de transformation révolutionnaire de la société ne se mène pas depuis ses marges, mais en se plaçant au cœur des contradictions qu’elle abrite. L’action directe n’est pas un rituel de libération individuelle, mais bien un acte de rupture. Un acte de rupture qui fait surgir une guerre jusque-là invisible.

Combien faudra-t-il de vidéos monstrueuses montrant les horreurs des abattoirs avant que nous comprenions que « l’information » n’est pas suffisante ? Qu’elle ne produit pas de changement, et qu’il faut autre chose pour faire naître un mouvement apte à attaquer la domination. Quelque chose qui engage nos corps avec ceux des animaux. Parce que la « société a été préparée » par ces images, n’était-il pas temps de déployer autre chose ? De transformer l’indignation en acte ? De courir vers le couloir de la mort, de se faufiler jusqu’au poste d’abattage pour interrompre le massacre ?


On ne peut engager une véritable lutte « en restant loin ».

La véritable radicalité, c'est le passage à l'acte. C’est l’engagement par le corps.

La conflictualité de notre activisme a précisément consisté à placer nos corps au milieu des infrastructures oppressives à travers lesquelles le pouvoir organise la destruction des vies animales. Pareille oppression ne peut être combattue avec ce qui nous est offert, par l’histoire, comme méthodes de contestation. Il nous fallait tout inventer et partir de rien. En un mot, élaborer une pratique politique autonome.

Les idées politiques ne se transmettent pas seulement via l’intellect mais aussi et surtout à travers la pratique. Les idées, aussi vraies soient-elles, ne peuvent rien en tant que telles. Il nous faut les incorporer, les transmettre pour que les corps se mettent en action. On ne peut espérer engager un réel combat contre un système oppressif, en se contentant d'exprimer publiquement notre désaccord ; car la politique n’existe que par l’action et la vibration des corps.

L’action directe, c’est refuser de partir sans avoir changer quelque chose dans l’abattoir. C’est précisément cette puissance que porte la pratique de l’action directe : montrer que nous avons prise sur la réalité, une possibilité d’arrêter la machine, de changer des vies, quelque chose qui nous engage dans une dimension sensible de l’activité politique.

Cette proximité avec les animaux qui meurent nous a toujours interdit tout engagement imaginaire, nous empêche de parler de « lutte » dans le vide. Partout où nous allons souffler la nécessité de l’action directe, nous avons le souvenir des animaux hurlants accrochés à notre veste. Une responsabilité qui pèse lourd. A une époque où la contestation semble déjà intégrée au système et pour un combat aussi difficile que singulier, l’action directe devient notre seul moyen de conquérir de nouveaux espaces politiques, de faire émerger la question animale. Il n’existe aucun instrument de lutte sociale (ni syndicat, ni parti, ni réel mouvement) sur lequel véritablement s’appuyer dans l’antispécisme.

Nous devons tout inventer.

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une histoire de frontière …